Se connecter à ses sens
et ressentir
Madame V ne ressent plus grand-chose. Depuis plusieurs mois déjà,
Madame V a le plus grand mal à se connecter à ses propres sensations, au point
parfois qu’elle ne sait plus ce qu’elle aime ou n’aime pas, ce qui lui plait ou
lui déplait, ce qui la détend ou la stresse.
Elle en a pris conscience voilà 8
jours, lorsqu’elle a croisé une amie qui n’arrêtait pas de lui parler des
petits plaisirs qu’elle s’offrait dans une journée. Une ballade, courte mais
appréciable, dans le parc public, ce petit carré de chocolat noir qu’elle aime
tant déguster après le repas, la séance de piscine de la veille et le contact
de l’eau sur tout le corps, qui la détend et lui permet de couper avec son
mental, ce petit temps passé simplement à écouter la musique qu’elle aime,
l’oiseau qu’elle a pris le temps de regarder dans les branches du platane, en
attendant le bus, …
Madame V l’écoute et dans le même temps, elle se dit qu’elle ne ressent
quasiment plus tous ces plaisirs, qu’elle ne prend plus le temps. Elle reçoit
même comme un impact fort quand son amie lui demande ce qu’elle fait, elle,
pour se détendre dans la journée, s’accorder du temps pour soi, une petite
parenthèse qui permet de respirer.
Madame V ne sait pas répondre à ces questions.
Que fait-elle pour se détendre ? Pour s’accorder un temps de
respiration ? Un temps à elle, rien qu’à elle ?
Le rythme actuel, le travail, la
vie de famille, le temps qui semble se raccourcir, les exigences de la vie
quotidienne font que des Madame V,
nous en rencontrons beaucoup, qui pourraient d’ailleurs tout aussi bien être
des Monsieur V. Nous sommes, et de
plus en plus, dans une société qui encourage la connexion au monde. Et plus
nous sommes virtuellement connectés, plus notre connexion à nous-mêmes se
fragilise, s’étiole.
Nous sommes dans une société qui fonctionne sur le mode du
« tout tout de suite » qui nous amène parfois à ne plus distinguer
l’urgent de l’important, à nous perdre dans nos priorités. Nous sommes dans une
société qui sous couvert de liberté, tend à nous coincer, parfois à nous
emprisonner, dans des modes d’action qui sont davantage des effets de modes que
des choix de postures sincères et assumés. Nous sommes dans une société du
« il faut, on doit » qui a tendance à nous édicter nos conduites.
Au
point même qu’aujourd’hui, « on » nous dit : « tu dois être
heureux », « il faut accepter l’autre », « tu dois te
détendre », « il faut méditer au moins une demie heure par jour »,
« manger 5 fruits et légumes », « marcher au moins 12000
pas ». Les injonctions au bonheur, à la détente, à l’exercice physique, à
la présence à soi, sont de plus en plus nombreuses.
Mais qui est ce « on » qui nous édicte nos
conduites? Des injonctions qui, le plus souvent, provoquent le contraire de ce
qui est recherché. Parce que l’humain est ainsi fait : il suffit de lui
dire « détends toi » pour qu’il soit encore plus tendu.
Nul autre que nous-mêmes ne
pouvons décider de ressentir les choses. Le réveil des sensations est un acte
volontaire. Mais il a pour avantage qu’il ne demande pas une volonté
démentielle.
Vouloir prendre simplement le
temps de quelques respirations et être conscient que l’on respire, conscient de
l’air qui entre à l’inspir, puis qui sort à l’expir. Prendre simplement le
temps de ressentir le mouvement naturel de sa respiration, le contact de ses
pieds avec le sol, de son bassin avec le siège du fauteuil, le contact de la
colonne vertébrale avec le dossier de la chaise, …
La connexion à ses sens commence
par là ! Bien entendu, on peut aller plus loin encore, en prenant le temps
de ressentir le contact du crayon sur nos doigts, dans notre main, le goût du carré
de chocolat que l’amie de Madame V apprécie temps après le repas. Prendre le
temps de ressentir les sensations que nous procure la présence de l’oiseau sur
la branche, la couleur du ciel, la présence des nuages, le parfum d’une fleur.
Pour y parvenir, il est nécessaire de passer par ce petit temps de présence à
soi, ce temps de respiration, de contact du corps avec ce qui le contient.
Ressentir à nouveau, c’est d’une
certaine manière retrouver cette part d’enfant qui est en nous. Le tout petit
d’homme, dans ses premiers mois, n’est quasi que ressenti ; il ressent et
accueille toutes les sensations qui lui viennent de l’extérieur (le froid, le
chaud, les sons, les images, le doux, les couleurs, les goûts, les odeurs…).
Alors pour retrouver cette part
d’enfant qui nous éveille à nos sens et qui contribue pour une très large part
au bien-être, peut-être avons nous besoin, avant toute chose, de passer du
« il faut que » au « j’ai envie de » ; passer du
« il faut que je me détende » au « j’ai envie de me
détendre » ; passer du « je dois aller bien » au
« j’ai envie d’aller bien ».
Bonne semaine et prenez soin de vous